"Vida-Victoria, la maman de mon père est née à Istanbul. Sa cuisine était la cuisine judéo-espagnole des juifs installés dans l’ancien Empire ottoman. Il était difficile d’avoir la recette de ses plats car les dosages étaient flous et approximatifs: un peu de ci, un peu de ça. Jeune fille, j’eus l’occasion d’aller la voir avec mon futur mari. Elle nous avait préparé une salade de fonds artichauts au citron, du garato, des tronçons de maquereaux marinés et du armi, un plat de tomates mijotées avec des oignons et un peu de riz. Toute la justesse de ce plat vient de ce 'un peu'. Et ce jour-là, dans la complicité d’un moment unique puisque que nous étions juste nous, ma mamie m’expliqua comment réaliser un armi. Elle m’expliqua que pour le réussir il fallait savoir y passer un peu de temps. Elle me parla des tomates à couper, des oignons qu’il fallait laisser colorer dans l’huile avec de l’ail, et du temps qu’il fallait donc laisser à tout cela pour que tomates et oignons cuisent, fondent, compotent doucement, lentement, s'imprégnant mutuellement de leurs parfums. Puis juste une petite poignée de riz à ajouter. 'Combien de riz mamie ? - Juste un peu, le creux de ta main, une petite tasse', car le armi c’est bien une compotée de tomates avec un peu de riz et surtout pas du riz à la tomate. 'Il faut un peu de temps ma fille mais c’est comme ça que ce sera bon.' Le armi de ma mamie est la seule recette qu’elle m’ait donné de vive voix. Elle nous a quitté deux semaines plus tard." - Catherine